Dernière mise à jour : 08-Jul-2008

3 - 1914 - La mobilisation et Henri Mamet prisonnier

En 1914, papa, père de cinq enfants, n'est pas mobilisable, mais Yvonne, étant née quelques semaines, avant la déclaration de guerre, l'armée n'avait pas eu le temps de mettre à jour son livret militaire. Il est donc mobilisé et affecté à la défense de Lille : les Allemands, via les Ardennes et la Belgique, arrivent à Lille en quelques semaines, occupent la ville et font prisonniers toute la garnison qui n'a pas le temps de dire ouf.

Papa passera prés de 4 ans et demi en camps de prisonniers , le temps de vivre une provision d'histoires à raconter aux deux petits derniers qu'il s'empressera de faire en rentrant. J'en ai retenu quelques-unes... Il a toujours affirmé qu'il recevait régulièrement l'Illustration, le magazine chic de l'époque, caché dans un colis alimentaire de la Croix-Rouge dont la ficelle était nouée différemment afin d'être repéré et soustrait au contrôle des allemands. (voir "Chronique de la famille MAMET" "De Blankenberge à Lille" "Henri Mamet" )

Il y avait aussi l'histoire des poêles de chauffage, dont j'ai oublié les détails : la baraque des prisonniers était chauffée par un poêle qui marchait bien, tandis que celui des allemands marchait très mal. Un jour, les Allemands ont exigé l'échange, et la nuit, les prisonniers ont réussi à refaire l'échange : les Allemands n'y ont vu que... du feu ! Et les Français ont pu se chauffer jusqu'au jour où les Allemands furieux ont pris les tuyaux de poêle, et le lendemain, le poêle marchait toujours, posé sur une caisse, elle-même posée sur une table... De toutes les façons, quand il faisait froid, les prisonniers s'enroulaient des journaux sous la chemise : Ça vaut presque la laine.

Il y a eu aussi le passage de Maurice Chevalier, nécessitant le transport clandestin et nocturne d'un piano à travers le camp... et sa chute un peu bruyante dans un fossé.

Pendant ce temps, maman fait des démarches, par la Croix Rouge, par le Vatican, par la Suisse : papa a soudain toutes les maladies de la terre, mais rien n'y fait. Et puis, un jour, il est appelé par les Allemands : “ Vous allez, comme chef de baraque, établir une liste de 10 noms de prisonniers qui seront rapatriés à titre sanitaire ; compte tenu des renseignements qui nous ont été communiqués par la Croix Rouge, vous mettez votre nom en tête de liste. ” Papa établit la liste et trouve sans peine 10 gars qui risquent de ne pas passer l'hiver.

A quelques semaines de là, son cousin, l'oncle Oscar lui envoie un colis de thé : Oscar est belge et vit en Chine où il est directeur d'une concession belge des chemins de fer chinois ; Oscar Mamet est un patron belge en Chine, ce n'est pas lui qui fait les colis ; son boy expédie le colis à l'adresse indiquée par son patron : Destinataire -Henri Mamet, Officier de l'Armée belge- C'est tellement évident que le cousin du patron ne peut-être qu'officier... et belge par surcroît.

A l'arrivée du colis papa passe devant un conseil de guerre : “ La Croix Rouge demande que vous soyez rapatrié, vous refusez ; vous prétendez être soldat français, vous êtes un officier belge, votre famille sait qui vous êtes ! ”

Il est envoyé en camp de représailles quelques mois avant l'Armistice.

Épisode : Vers 1934, papa et maman amènent leurs deux petits derniers à Paris. On a droit à la Tour Eiffel, mais aussi au Musée des Invalides, au musée Grévin, au Soldat Inconnu, et puis sur les Champs Elysées, un R'miste, pas trop pouilleux, mais tout de même avec une casquette sur le crâne, se précipite sur papa, l'embrasse, “ Mamet, tu m'as sauvé la vie. “ Le plus étonnant de cette anecdote, c'est que je suis incapable de dire si elle est à verser aux dossiers de l'histoire, ou si mon imagination avait besoin d'un papa, soldat inconnu, mais un petit peu héroïque tout de même.

L'Armistice est signé le 11 novembre 1918 ; papa ne rentrera à Nantes qu'en janvier 1919 car l'Allemagne est en totale désorganisation et la Prusse Orientale est loin quand les chemins de fer ne marchent qu'épisodiquement...

Souvenirs de Suzanne : 1918 - L'armistice et le retour de Papa.