7 - Et ce fut la guerre de 1914

La guerre de 1914 devait, comme partout ailleurs, mettre un frein au développement. Mametz allait payer un lourd tribut en sacrifiant nombre de ses enfants dans la fleur de l'âge. Les trois Monuments aux Morts érigés à la fin du conflit portent leurs noms gravés dans la pierre et nous rappellent que peu de familles furent épargnées. Le village lui-même ne connut des combats que le stationnement des troupes anglaises et portugaises. Ouverture pour beaucoup sur un autre aspect du monde, la rigidité anglo-saxonne, l'exotisme des hindous (partie de la Couronne britannique) stationnés à Monbus, le caractère chaleureux des portugais (dont un bon nombre fit souche dans tout le Nord de la France), ce fut un tournant pour notre Commune qui, la paix enfin revenue, se mit en devoir de panser ses plaies et de reprendre sa marche vers le progrès.

Vers 1923, un pas décisif est fait grâce à la desserte en électricité alors que la Poste s'implantait solidement et se structurait. Le téléphone, l'automobile, les journaux, puis la T.S.F et le cinéma muet d'abord, puis parlant, vont provoquer une évolution rapide de notre monde rural. Pourtant, le travail des champs draine encore une bonne partie de la population. Le cheval tire vaillamment le matériel agricole et le début de journée s'illustre d'une cascade de bruits familiers : il y a le tombereau, la herse, le semoir et surtout le gros rouleau de fer qui brinquebale et tressaute sur chaque aspérité du chemin et qu'on entend venir de très loin. Les betteraves plantées font route et voici tout un peuple qui prend le champ d'assaut pour sarcler, démarier (on dit : déduire), espacer et re-sarcler... (on dit : arbraquer... )... ah ! vivement que viennent les monogermes... Et quand le soleil estival a mûri la moisson, la Vierge du 15 août ayant, selon l'année maintenu ou remis le temps, le champ de blé voit arriver son moissonneur muni de sa faux et de son “ hoquet ” mais seulement pour ouvrir un chemin à la moissonneuse qui coupe et qui lie avec la “ fichelle à moissonneuse ”. Ce qui n'empêche pas les enfants en vacances d'aller glaner de quoi nourrir la basse-cour familiale. Et les plus grands de relever les gerbes pour en faire les fameuses “ cônes ” qui permettaient au grain de sécher avant que les charrettes ne les recueillent pour les mettre en meules en attendant le passage de la batteuse.

Ce passage de la batteuse était une grande journée dans la vie d'une ferme, petite ou grande. Un personnel attitré suivait l'instrument qui faisait son tour, quelques fois de façon pas très catholique. Le battage ne prenait pas toujours toute une journée et il fallait nourrir la quinzaine d'hommes, matin, midi, quatre heures et soir, sans compter le désaltérage obligatoire. Alors, je me souviens de la débrouillardise de quelques-uns, avec la complicité du maître de la batteuse, pour échapper à l'une ou l'autre des charges... D'où querelles et arrangements.

Et il y avait aussi le soin du bétail : les vaches à conduire au marais ou au pâturage privé. Bien content quand le beau temps permettait enfin de les laisser passer la nuit. mais, en ce cas, il fallait aller “ moudre à pâture ” et obtenir du ruminant qu'il accepte de rester tranquille malgré l'agacement des insectes. Et les lapins réclamaient les plus beaux pissenlits des talus que ne polluaient pas encore les rares automobiles... Et les poules faisaient leurs poussins sur le nid qu'elles s'étaient fabriqué et rempli, à moins qu'elles n'aient “ couvé perdu ” et ramené leur petite famille avec la fierté du travail bien fait Tant de souvenirs nous viennent à l'esprit de cette époque où les agitations du monde parvenaient encore jusqu'à nous avec, il faut l'avouer, une résonance bien atténuée.