A partir des “Souvenirs d'occupation 1914-1918” d'Eugène THIBAUT, habitant 20 rue de la Gare à Haubourdin, en face du jardin public et de la place de la Bascule. “Notes prises au jour le jour, au coin de l'exacte vérité, sous l'impression des évènements malheureux, qui se déroulèrent durant la triste guerre”.

Le mardi 6 octobre 1914 :

Arrivée du 158ème d'infanterie; des sentinelles sont placées à chaque coin de rue, un poste est établi près de la Bascule. Le soir, nous avons le poste dans l'atelier d'Adolphe, les soldats furent bien contents d'avoir leur poste à sec, et de recevoir de nous un peu de victuailles, tous bons garçons sauf un blagueur de parisien.

Le jeudi 11 mars 1915 :

Ce matin, à 5 heures, quelques coups de canon. A 5h1/2 passage d'un aéro très bas, juste au dessus des arbres du jardin public. A partir de 6h1/2, monstre duel d'artillerie vers La Bassée Ennetières jusqu'à midi. …

Le dimanche 30 mai 1915 :

Nuit. A 11h du soir, arrivée rue de la gare d'une partie des deux régiments, quel brouhaha en pleine nuit, quel triste tableau de voir sur le trottoir, le long du jardin public, des hommes tous gris, assis, couchés et fatigués.

Sur la chaussée se trouvaient des voitures de toutes sortes et les cuisines. J'ai pu savoir que ces troupes venaient de Menin, Warneton, Frelinghien, Quesnoy . A 11h1/2 sont arrivés le capitaine, deux hommes et un cheval. A 4 heures, deux autres chevaux …

Le vendredi 4 juin 1915 :

… toute la journée, le va et vient des troupes continue rue de la gare, et dans la ville on annonce un concert au jardin public pour 6 heures. Mais à regrets pour eux, le concert fut raté, un autre concert les attendait.

A 6h, le 134ème recevait des ordres pour partir à toute minute. Les hommes se préparaient, un autre ordre est arrivé leur disant qu'ils partiraient probablement pendant la nuit. La veille, les hommes avaient touché le prêt, ils étaient gais, mais ce soir, ce n'est plus la même chose. …

Le samedi 14 août 1915 :

Nuit assez calme comme canonnade et fusillade, quelques coups seulement. A 2h du matin, rentrée de l'officier chargé à 8 Kg comme une forte chaudière.

Il ne pouvait pas passer au dessus des rails; je vous assure que je fus écoeuré de voir ainsi un officier plein comme un boudin et savoir les soldats malheureux, ne touchant rien pour se réconforter (pour se remettre, l'officier est resté couché jusque midi). Les obus arrivent sur Escobecques, Hallennes. A 3 h, concert au jardin public, quelle gaieté pour nous !

Le mardi 24 août 1915 :

Nuit très calme. A 3 h on entend les fifres et l'arrivée d'une partie du 77ème. A 6h , arrivée de l'officier pour loger avec son ordonnance, officier sans fantaisie car il porte le sac et a le fusil. Matinée très calme, l'on entend absolument que le bruit des voitures, il n'y a plus de canon ni de fusil. A midi, un soldat du 77ème se promène en sabots place de la Bascule (fantaisie de valet de ferme). …

Le mardi 31 août 1915 :

… à 5 heures, concert au jardin public…

Le lundi 13 septembre 1915 :

… Il est passé quantité d'aéros toute la journée, poursuivis de tirs à volonté, sans résultat. Les projectiles tombaient drus sur la place de la Bascule. …

Le dimanche 26 septembre 1915 :

… A 1h, il est passé 27 prisonniers, anglais, écossais et indiens, place de la Bascule, juste avant le dîner. Ce fut un triste apéritif de voir conduire ces 27 hommes par 12 Uhlans, surtout qu'il y en avait un qui ne pouvait plus marcher. Il était supporté par deux jeunes anglais, c'était navrant de voir cela, quel triste tableau, et nous avons su qu'au repos, cet homme avait reçu un coup de crosse de fusil. …

Le mardi 28 septembre 1915 :

… A 6h1/2, 6 prisonniers sont passés par la place de la Bascule venant de Fournes. …

Le samedi 8 janvier 1916 :

… Des soldats sont en train d'arranger le jardin public. On dit que c'est pour fêter l'anniversaire du Kaiser. …

Le mardi 11 janvier 1916 :

… Ici, on fait des préparatifs pour une fête prochaine au jardin public, l'on met du fin gravier.

Le jeudi 13 janvier 1916 :

… Ce matin, répétition générale et parade au jardin public, pour la fête à venir.

Le vendredi 14 janvier 1916 :

… On prépare beaucoup pour la fête de demain. A 9h, un garde champêtre est venu prévenir que demain matin, il faut que pour 7 heures les rues soient bien balayées et les ruisseaux lavés, que toutes les fenêtres et les portes soient fermées, défense absolue de lever les rideaux aux fenêtres de l'étage; on risque si l'on enfreint l'ordre de recevoir une balle dans la peau, et que personne ne sorte avant 2h de l'après-midi.

Le samedi 15 janvier 1916 :

… Ce matin à 6h, il faisait noir comme dans un four, et malgré cela avec les portes ouvertes les femmes lavaient la rue - ce n'est pas la police française qui saurait leur faire faire à temps ce travail.

A 6h1/2, les troupes s'alignent dans les rues pendant que d'autres se groupent autour du kiosque du jardin public; des sentinelles furent placées à chaque porte et d'autres contre le mur du jardin public faisant face aux maisons des rues voisines - il aurait été difficile de regarder par les vitres - d'autres faisaient les cent pas dans la rue Pasteur.

A 8h le Prince de Bavière arrive, sans le voir on suppose que c'est lui, car on entend des huées et ensuite la musique. Probablement qu'il y eut des parlottes car de temps en temps on entendait des hourrah et la musique. Cela a duré jusque 10h. Ensuite, il est allé à la savonnerie Lever en passant par la rue de l'Ecole.

De là il est allé chez Mr A. Cuvelier, où la salle était dressée; on nous a dit qu'il n'avait pas mangé ! … probablement l'émotion, arriver dans un pays mort, pas âme qui vive, portes, fenêtres fermées, cela devait être tellement lugubre ! Aucun civil, pays en deuil, pas flatteur pour le Prince, quelle impression cela doit faire de ne voir personne !

C'est à se demander pourquoi agir ainsi, puisque la consigne a été levée plus vite, nous avons pu sortir à 11 h plutôt qu'à 2h… (J'ai oublié de dire que le concert de ce matin fut aussi arrosé d'une pluie très fine et désagréable.

Un détail en passant : nous avions à l'écurie un soldat prussien et il n'a pas voulu aller à la revue. Il sortit même sur la place de la Bascule sans être en tenue. Il s'est fait ramasser; il était d'une colère monstre, et ne comprenait pas que l'on fasse tant de cérémonies pour ce Prince de Bavière).

Le lundi 17 janvier 1916 :

… Vers 9h un soldat se promène sur le trottoir du jardin public face à la maison. Lorsqu'il eut bien inspecté la façade, il aura vu probablement 2 lucarnes. De suite il est venu sonner et a demandé de descendre à la cave. Je suis descendu avec lui, et ne voyant qu'une seule lucarne, il a demandé ce qu'il y avait à côté. Je lui répondis "rien". Ne le croyant pas, il se mit à démonter un caveau provisoire fait avec des dalles en ciment que j'avais posé contre la porte de la deuxième cave.

Voyant que ce gros dégourdi mettait trop longtemps pour le démonter, je lui ai dit de se retirer, et en 5 minutes, je lui ai ouvert la porte; quelle joie pour ces goulus, quand ils ont aperçu toutes ces bouteilles (tas de gros malins, à qui il a fallu 5 perquisitions pour s'apercevoir que la seconde cave existait). Le caporal est allé prévenir la Commandanture, et peu après, une équipe de soldats en armes est venu monter la garde sur le devant et quelques uns à la cave, en attendant de mettre les scellés.

Le vendredi 8 juin 1917 :

Nuit terrible pour Haubourdin. Les grosses pièces tiraient près d'ici, jusqu'à 2 heures. A ce moment un aéro passa très bas et commença par jeter 2 bombes chez MM Louvet, mettant le feu à l'usine en quelques heures; il ne restait que la maison du concierge et celle du mécanicien. Une autre fut jetée chez Monsieur Barroux, Chef de district, deux autres au Séminaire mettant le feu à la chapelle qui fut aussi consumée en quelques heures; heureusement le grand bâtiment est resté intact. Une autre sur la maison Lallennes rue A. Potié, une autre dans le jardin de G. Cappe, une autre chez M. Ruyssen, deux dans le jardin public, par celles-là nous avons eu des vitres cassées à l'étage et reçu des petits éclats, une autre rue Pasteur blessant un peu Auguste Peskens, une autre chez M. P. Lowagie tuant un soldat et deux chevaux, une autre à l'école rue de la deûle. …

Le vendredi 28 septembre 1917 :

… A 8 h, il y a une répétition de chorale au jardin public, en vue d'une revue cet après-midi à 3 h. Ce ne fut pas précisément une revue. Il y avait de tout pour amuser, chanteurs, musiciens, discoureurs, acrobates, et… bière etc…etc… . Cela a duré jusqu'à 10 heures du soir. …

Le dimanche 6 octobre 1918 :

Nuit, canonnade formidable; vers 1 h, une dizaine de coups semblables à des explosions, des sifflements, des éclatements, enfin, de tout à effrayer même les personnes solides; ce matin, en allant à la messe de 6 h, nous voyons qu'un obus est tombé place de la Bascule, 2 sur l'estaminet L. Thibaut, Place Blondeau, 1 chez Delahousse, L. Brunel etc…etc… Grâce à Dieu, tout en étant dans la direction, nous l'avons encore échappé. …

Le mercredi 27 novembre 1918 :

Et voilà clos ce journal vécu dont nous n'oublierons jamais tout ce qu'il contient. Maintenant, à l'œuvre pour relever les ruines causées par ces terribles boches.