L'Empereur Charles-Quint et la Flandre

La commémoration du quinquacentenaire de la naissance de l'Empereur Charles-Quint (1500-1558) à Gent (Gand) laisse nombre de ses habitants songeurs. En effet, il y avait souvent été perçu en son temps comme une menace pour les libertés communales, tout comme à Brugge (Bruges) ou Ieper (Ypres). Dans la partie méridionale de la Flandre, devenue française, l'Empereur Charles-Quint, en revanche, loin d'être pris pour une menace, était tout simplement considéré comme le défenseur de la liberté qui, dans ce cas, allait de pair avec la souveraineté nationale.

L'Empereur Charles-Quint et la Flandre

De fait, depuis la mort de Charles le Téméraire, la pression exercée par la France sur le sud du comté de Flandre était très forte si bien que c'est à juste titre que les Flamands méridionaux éprouvèrent de la reconnaissance envers Maximilien d'Autriche et, surtout, son petit-fils l'Empereur Charles-Quint dont l'action vigoureuse permit de les préserver pour un temps.

Cela explique le fait que le souvenir positif de l'Empereur Charles-Quint soit demeuré vivace dans la mémoire collective des Flamands méridionaux.

On le retrouve dans les récits populaires, cortèges et processions ; des rues portent son nom et les églises et hôtels de ville rappellent son souvenir. Là où les Français citent souvent des dictons et anecdotes attribués à Henri IV, les Flamands méridionaux se réfèrent de la même façon à l'Empereur Charles-Quint. “A l'époque de l'Empereur Charles-Quint” renvoie à la période du Siècle d'Or.

L'Empereur Charles-Quint, défenseur de la Flandre Méridionale

Alors qu'il était encore jeune homme, Charles-Quint accompagne son grand-père Maximilien dans sa campagne de 1513 en Flandre méridionale menacée. Près d'Ingwinegate (Enguinegatte) en Artois, Maximilien d'Autriche et Henri VIII d'Angleterre battent les Français. L'on relève 100 morts parmi les Français et 4 parmi les alliés. Tout comme en 1302, on appela cette bataille celle des “éperons d'or”, non pas du fait que de nombreux chevaliers français y périrent mais parce que ces derniers usèrent plus de leurs éperons pour prendre la fuite que de leurs épées pour se battre.

Ingwinegate (Enguinegatte) est située dans les environs immédiats de l'ancienne ville épiscopale de Terwaan (Thérouannes) en Artois. En 1493, par suite de la “Paix” de Senlis; Terwaan (Thérouannes) était devenue une enclave française en territoire impérial. Les soldats français profitaient de cette situation pour piller et détruire sans cesse les villages des environs. Ce fut donc au grand soulagement et à la grande joie de toute la région que l'Empereur Charles-Quint apparut 40 ans plus tard devant la ville qu'il réduisit littéralement en poussière cette fois-ci.

La destruction de Terwaan (Thérouannes) en 1553, “DeLeTi MorInI”, ne fut pas la cause mais bel et bien l'occasion d'une réorganisation des évêchés aux Pays-Bas, décidée lors du Concile de Trente qui se déroulait au même moment. Ce fut à l'occasion de ce redécoupage qu'apparut notamment l'évêché de Gent (Gand) en 1559.

Le même cas se présentait à Oud-Heusden (Vieil-Hesdin). Cette place forte était devenue un repaire de pirates à partir duquel la garnison française pouvait opérer pour mettre les environs à feu et à sang. La même année, en 1553, l'Empereur Charles-Quint détruisit systématiquement la ville avant de faire rebâtir à son goût à quelques kilomètres de là une nouvelle ville de Heusden (Hesdin) qui conserve de nombreux souvenirs de Charles-Quint.

Le “Bastion de Gand” à Grevelingen (Gravelines)

Grevelingen (Gravelines) est une petite ville fortifiée, située sur la façade maritime, à l'embouchure de l'Aa. En 1159, le comte Didier d'Alsace avait déjà fait fortifier la ville en raison de sa position stratégique.

En 1528, l'Empereur Charles-Quint étendit les fortifications et fit construire six fortins ou bastions. Ces fortins, qui existent toujours et sont bien entretenus, reçurent chacun un nom. Le plus grand qui est situé près de la place reçut le nom de "Kasteelbastion" ("Bastion du Château"). Un second s'appelle "Koningsbastion" ("Bastion royal"). Les quatre autres bastions reçurent chacun le nom de l'une des grandes cités flamandes - Gent (Gand), Brugge (Bruges) Ieper (Ypres) et le 'Brugse Vrije ("Franc de Bruges") auxquelles l'Empereur Charles-Quint imposa le financement de l'un des bastions. Ceci montre contrairement combien les fortifications de Grevelingen (Gravelines) jouaient un rôle important dans la défense de la Flandre.

L'aigle impérial en Flandre méridionale

Le blason de l'Empereur Charles-Quint et autres symboles qui lui font référence se trouvait autrefois sur de nombreux hôtels de ville, monuments et églises. L'annexion de la Flandre méridionale à la France par Louis XIV a entraîné la disparition de nombre de ces symboles. L'on en trouve pourtant encore bon nombre d'entre eux.

L'on peut ainsi observer la double flèche en compagnie d'un lion et de la croix de Bourgogne, dessinés dans la maçonnerie du mur extérieur de la Sint-Elooiskerk (Eglise Saint-Eloi) de Hazebroek. A Flers près de Lille (Rijsel), le portail en bois de l'église porte le blason de l'Empereur Charles-Quint, entouré du collier de la Toison d'Or. L'on trouve des symboles de Charles-Quint dans les églises qui datent de son époque, telles que celles de Stapel (Etaples), Volckerinckhove et Zegerskapel. Les vitraux qui furent montés lors de la reconstruction de l'église de Belle (Bailleul) commémorent la visite rendue en ce lieu par le jeune Charles âgé alors de treize ans, tandis qu'il se rendait à Ingwinegate (Enguinegatte). Les armes de l'Empereur Charles-Quint ornent le manteau de la cheminée de l'hôtel de ville d'Hondschoote.

Les textes inscrits sur nombre de pierres tombales et monuments dans les églises de Flandre méridionale rappellent comment les conseillers, dirigeants et seigneurs de guerre ont servi fidèlement l'Empereur Charles-Quint. Les familles nobles de Lannoy et Croy occupent une place toute particulière à ce sujet. A l'intérieur de l'église de Vleteren (Flêtre), par exemple, l'on trouve la pierre tombale d'Antheunis van den Houte, capitaine de Duinkerke (Dunkerque) et bailli principal de la châtellenie de Bergues St-Winoc qui était conseiller de l'empereur (“raed en camerlinck”).

Michiel de Swaen de Duinkerkenaar (le Dunkerquois), considéré comme le plus grand poète des Pays-Bas méridionaux de son époque, et qui est né huit ans avant l'annexion de sa ville par la France, accéda aux honneurs littéraires grâce à sa pièce de théâtre intitulée “De zedige dood van Keizer Karel” (“La mort pudique de l'Empereur Charles-Quint”) qui a pour thème l'abdication de l'empereur, et à sa comédie "De gekroonde Leerse " ("la Botte couronnée") dans laquelle l'empereur prend part à la vie populaire.

La Prière Réconfortante de l'Empereur Charles-Quint a longtemps été récitée et diffusée. Dans son introduction, il est donné de lire que celui qui récite cette prière tous les jours, l'écoute réciter ou la conserve sur lui sera préservé de toutes sortes de périls ; il ne tombera pas aux mains de l'ennemi et demeurera invincible sur le champ de bataille. La puissance que l'on attribue à cette prière vient de ce que, selon la légende, c'est le pape qui l'aurait envoyée à l'Empereur Charles-Quint tandis que ce dernier s'en allait livrer bataille.

Le labyrinthe de la Pacificatiezaal (Salle de la Pacification) de l'hôtel de ville de Gent (Gand)

A l'époque de l'Empereur Charles-Quint, le dallage de la Pacificatiezaal (Salle de la Pacification) de l'hôtel de ville de Gent (Gand) fut orné d'un labyrinthe de la main de Claeys Triest. Un tel labyrinthe est chose rare dans un bâtiment profane mais peut s'expliquer ici par la proximité immédiate de la chapelle des échevins. Seule une paroi ajourée séparait les deux expaces concernés.

Le motif de ce labyrinthe s'inspire manifestement de celui de la cathédrale de Sint-Omaars (Saint-Omer) dont le labyrinthe constitue lui-même une réplique à échelle réduite du labyrinthe disparu de la Sint-Bertijnsabdij (Abbaye Saint-Bertin) de Sint-Omaars (Saint-Omer).

Le labyrinthe à Sint-Omaars (Saint-Omer) est carré alors que celui de Gent (Gand) est rectangulaire du fait de la moindre largeur de l'espace disponible. C'est aussi la raison pour laquelle le motif a subi une légère modification. L'on distingue nettement la croix ainsi que l'espace blanc sur lequel repose la croix.

Le Liber Floridus de Gent (Gand), originaire de Sint-Omaars (Saint-Omer)

L'un des joyaux de la bibliothèque universitaire de Gent (Gand) est sans aucun doute le Liber Floridus. Cette oeuvre de compilation du douzième siècle peut être considérée comme une encyclopédie pour cette époque-là. Il est œuvre du chanoine Lambert de Sint-Omaars (Saint-Omer).

Dans cet ouvrage, l'on trouve aussi un poème de Petrus Pictor, un contemporain de Lambert, également originaire de Sint-Omaars (Saint-Omer). Ce poème composé en hommage à la Flandre est le plus ancien qui nous soit connu. Il comporte notamment les vers suivants :

Rursus, mando vale, mea Flandria, terra proborum !
Mando, remando vale, mea Flandria, terra meorum !
Gegroet trouw Vlaanderen, waar eer en trouw steeds schijnen !
U blijft mijn groet verpand, mijn Vlaanderen, land der mijnen !
Salut Flandre fidèle où l'honneur et la fidélité brillent en permanence !
Mon salut demeure à jamais ton obligé, ma Flandre, pays de mes semblables !

(Trad. Frank Allacker)

L'Empereur Charles-Quint et la Flandre