Watteeuw Jules

L'incarnation d'une ville

Enfant de Tourcoing et fier de l'être, Jules Watteeuw a bénéficié de son vivant d'un véritable culte de la part de ses concitoyens. Il fut sans doute l'une des rares personnalités à pouvoir inscrire sur sa carte de visite une adresse qui soit identique à son propre patronyme. Et sa maison, sise 19, rue Jules Watteeuw, lui fut offerte par souscription par les Tourquennois. Le jour de son enterrement, le 2 juin 1947, le Broutteux, puisque c'est le titre qu'il se donna lui-même, eut droit à une cérémonie fastueuse qui fut suivie par une foule énorme.

Jules Watteeuw avait accompagné un siècle d'histoire tourquennoise, celui des grandes mutations de la seconde moitié du XIXe siècle, celui de “ l'âge d'or ” et de l'exposition internationale textile en 1906, celui enfin des épreuves imposées par les deux grandes guerres mondiales. Témoin de son temps, Jules Watteeuw s'intéressa plus aux permanences qu'aux évolutions. Dans cette période troublée. Jules Watteeuw joua finalement le rôle rassurant du père protecteur. Autour de sa force tranquille, une légende s'est construite. largement nourrie par le comportement quelque peu mégalomaniaque de ce personnage haut en couleurs.

Le temps des pasquilles

Curieusement rien ne laissait présager que Jules Watteeuw incarnerait le Tourquennois de souche. Sa famille maternelle était originaire du Lot et il ne devint juridiquement français qu'en 1891 (à l'âge de 42 ans). son père étant. en effet, de nationalité belge et de culture flamande. Les malheurs qui marquèrent les premières années de son existence, une enfance rythmée par trois décès, dont celui de sa mère, une adolescence caractérisée par une régression sociale (son père ayant fait faillite, le jeune bourgeois devint apprenti et travailla dans le textile jusqu'à l'âge de 30 ans), un veuvage précoce suivi immédiatement de la perte de l'un de ses jumeaux, l'obligèrent à chercher des compensations.

Son grand-oncle ayant été compositeur de chansons et interprète comique, c'est ainsi qu'il apprit à jouer du violon, fit partie de la société orphéonique des Cricks-Sicks où chantaient déjà son oncle et ses deux cousins. Son besoin de se mettre en valeur l'amena à se produire en public dès l'âge de 19 ans et à chanter des chansons en patois de Lille de Desrousseaux.

La trentaine venue, Jules Watteeuw se mit à composer ses propres chansons en patois et chanter ses propres créations, des chansons et des “ pasquilles ” (petites poésies patoisantes), puis des pièces de théâtre. Désireux de faire rire, d'amuser, Jules Watteeuw utilisa abondamment le patois, qui est un élément de comique depuis la Renaissance. Il puisa l'essentiel de son inspiration dans le folklore local, dans les coutumes et les traditions notamment en matière de jeux et de distractions.

Auteur prolixe s'il en est, Jules Watteeuw lança bientôt, en juillet 1882, “ La brouette drolatique et divertissante, petite gazette populaire de Tourcoing et ses cantons ” en hommage à cette brouette qu'utilisaient les Tourquennois pour transporter les balles de laine. Dès le premier numéro, Jules Watteeuw entra en conflit avec ses associés et fonda avec d'autres “ le Broutteux, journal pasquille pour Tourcoing et ses environs ”. En 1885, nouveau conflit, le Broutteux édita et imprima alors lui-même son propre journal rebaptisé “ La Brouette ”, qui éliminera deux autres gazettes patoisantes. Les publications se succédèrent alors à un rythme effréné quatre volumes des “ chansons, fables et pasquilles tourquennoises ”, vingt-six numéros de “ L'Armenaque du broutteux ”, édition de cartes postales, d'une “ Histoire de Tourcoing ” et d'un “ Tourcoing au XIXe siècle ”. Il fut également l'un des organisateurs des festivités liées au centenaire de la bataille de Tourcoing.

Obnubilé par sa ville natale

Mais, obnubilé par le culte qu'il voue à sa ville natale, aux permanences de cette cité nourricière qu'il entend incarner totalement, et par la recherche de sa propre gloire, Jules Watteeuw fut, dans son œuvre d'historien ou de journaliste, frappé d'une cécité quasi-totale. Certes, il excella dans ses descriptions de ducasse, des petits métiers de la rue, des jeux d'enfants ou des distractions d'adultes (bourleux, pinsonneux, coulonneux ou coqueleux) mais il rata largement la brutale transformation de Tourcoing, l'explosion démographique et le développement urbain de cette cité devenue une grande ville à vocation industrielle. Il ne vit pas non plus l'émergence de nouvelles forces, de cette moyenne bourgeoisie qui supplanta peu à peu la grande bourgeoisie du négoce et de la fabrique et de cette classe ouvrière de plus en plus nombreuse qui va bientôt générer des députés républicains, puis socialistes.

Après la parution, en 1907, du dernier numéro de la Brouette, le nouveau directeur de l'imprimerie refusant de continuer la publication, Jules Watteeuw, la soixantaine accomplie, bénéficia, du fait de ses succès littéraires et théâtraux, d'une véritable rente de situation. En 1908, il fut embauché aux archives et fit fonction de bibliothécaire adjoint et de conservateur de musée.

Deux ans plus tard, il reçut cette remarquable maison de la rue Jacquard (la future rue Jules Watteeuw) où l'on note des influences alsaciennes et normandes et qui est ornée d'un buste à son effigie et le Journal de Roubaix se mit à publier chaque semaine un Coin du Broutteux. La fin de sa vie allait être rythmée par une succession d'honneurs, la Légion d'honneur lui étant décernée deux mois avant sa mort.

Après de somptueuses funérailles, vint le temps de l'oubli et du purgatoire dont le Broutteux ne sortit qu'à l'issue des Trente Glorieuses. Frappée de plein fouet par la récession économique mondiale et par la crise du textile, Tourcoing retrouve alors ce Broutteux rassurant et consensuel que les grands bouleversements de son temps avaient laissé indifférent. D'une légende est né un mythe... Jules Watteeuw est né le 29 juillet 1849, à la Saint-Christophe, au son des musiques de la ducasse, dans une maison sise au 16 de la Grand-Place, au cœur même de Tourcoing.

Dernière mise à jour : 13-Aoû-2008