DE BETTIGNIES Louise (1880 - 1918)

Louise est la septième des huit enfants d’Henri de Bettignies et Julienne Mabille de Poncheville. Elle nait le 15 juillet 1880 à Saint Amand les Eaux quelques jours après la vente par son père de la Société des Produits Céramiques du Nord, qui marque la fin de l’histoire familiale des porcelaines de Tournai et Saint Amand. François Joseph Péterinck l’avait débutée en 1751 à Tournai, sa fille Amélie et son gendre Jean de Bettignies la continuèrent. Tandis que Henri le fils ainé de ces derniers continuait à Tournai, son frère cadet Maximilien ouvrit en 1818 un dépôt qui se transforma rapidement en fabrique à Saint Amand. Par la suite Maximilien racheta la faïencerie Dorchies et s’installa au Moulin des Loups. Il était le grand père de Louise. Les ascendants de Bettignies étaient déjà orfèvres à Mons en 1650. La famille Mabille a ses origines dans le Pas de Calais à la même époque et était depuis plusieurs générations notaire à Valenciennes. Malgré les difficultés financières de son père, Louise de Bettignies fit des études secondaires à Valenciennes chez les Sœurs du Sacré Cœur.

Dés 1895, ses parents habitent Lille mais elle part en 1898 en Angleterre poursuivre brillamment des études supérieures au collège d’Upton puis à Wimbledon et à Oxford. La mort de son père à Lille en 1903 la fait revenir dans cette ville ou elle terminera ses études à la Faculté des Lettres de l’Université de Lille en 1906.

Elle travaille alors comme préceptrice à Pierrefonds puis s’en va à Milan en Italie chez les Visconti avant d’aller exercer en Galicie chez le comte Mickiewicz. En 1911-1912 elle se trouve chez le Fürst Carl Schwarzenberg puis chez la princesse Elvira de Bavière. C’est là qu’il lui fut proposé de devenir la préceptrice des enfants de Ferdinand-Joseph, héritier du trône d’Autriche. Elle déclina l’offre et revint en France où elle trouva un emploi dans le Loiret. De retour à Lille au début de 1914, où elle fut opérée de l’appendicite, elle conduisit sa mère chez son frère à Bully les Mines le 23 aout et rentra à Lille au 166 de la rue d’Isly.

Durant le siège de Lille début octobre, avec sa sœur Germaine, elles s’étaient illustrées en allant distribuer, malgré les tirs allemands, boissons et nourritures aux territoriaux qui gardaient la porte de Béthune. Pour ces faits, sa sœur Germaine reçut la croix de guerre. Engagée comme infirmière par Madame Féron-Vrau, elle eut pour travail principal d’accompagner et réconforter les blessés et souvent d’écrire à leurs proches, en français, en anglais ou en allemand puisqu’elle parlait toutes ces langues en plus de l’italien.

A la fin de l’année 1914 elle accepta de passer en France quelques trois cent lettres, qu’elle avait recopiées à l’encre invisible sur ses vêtements, et après une tentative infructueuse par Orsinval (zone occupée) où son frère Henri, curé, lui fournit les papiers au nom d’Alice Dubois native de Neuve Eglise (zone française), elle entrepris le voyage en traversant la Belgique, la Hollande, l’Angleterre pour arriver à Boulogne et rejoindre sa mère à Saint Omer. C’est au cours de ce premier voyage qu’elle fut abordée tant par le deuxième bureau français que par l’Intelligence Service anglais pour retourner à Lille afin d’y mettre en place un service de renseignement. Après avoir consulté son directeur de conscience, le Père Boulangé, à Amiens, elle accepta la proposition anglaise qui lui assurait les moyens financiers a priori tandis que le service français ne l’assurait que du remboursement de ses frais. Elle retourna donc à Lille et soutenue et conseillée par son évêque Mgr Charost, elle mit en place une organisation avec au moins quatre vingt personnes surveillant tous les mouvements des troupes allemandes de la région de Lille de février à octobre 1915. Elle réussit à prévenir les anglais d’une attaque sur Armentières par un souterrain.

C’est Mgr Charost qui lui donna le surnom de Jeanne d’Arc du Nord.

Elle mit au point un système de localisation sur plan particulièrement performant qui permettait de déterminer avec une excellente précision les positions des batteries allemandes. Les allemands reconnaissaient que leurs canons ne pouvaient rester en place plus d’une semaine sans être atteints par les tirs anglais. Il est admis que ce sont plusieurs milliers de ces canons qui furent ainsi détruits, lui attirant cet hommage allemand « elle valait un corps d’armée ». Elle précisa le lieu, la voie et l’heure de l’arrivée du train du Kaiser à Lille : les bombes anglaises larguées par avion tombèrent de part et d’autre de ce train. Elle fit personnellement le voyage entre Lille et Flessingue une fois par quinzaine, mais elle envoyait au minimum deux messages par semaine à son correspondant José Courboin dit « tante Emma » au Pays Bas.

A coté d’elle, son « lieutenant » était Léonie Vanhoutte, future épouse d’Antoine Rédier auteur du livre « la Guerre des Femmes », et ses principaux collaborateurs étaient : Messieurs Sion et Lenfant, Monsieur et Madame de Geyter pour la collecte et mise en forme des renseignements, mais aussi Victor Viaene, Alphonse Verstapen ou Georges Desaever pour les déplacements et transports. Il est plus que probable que c’est par son intermédiaire que les anglais furent en possession du « chiffre » de l’armée allemande dés l’été 1915. Elle fut probablement trahie et « donnée » aux allemands, mais écrira plus tard une de ses proches à Siegburg, elle avait pardonné. A qui ? Aucun nom n’est cité. Elle fut en effet arrêtée à Froyennes le 20 octobre, transférée à la prison Saint Gilles à Bruxelles, y fut probablement torturée mais, le reconnut après guerre son accusateur allemand Goldschmidt, ne donna aucun nom. Les allemands mirent même une codétenue - Louise Letellier - dans sa cellule qui joua fort bien le rôle de mouton et obtint de Louise de Bettignies qu’elle écrive cinq lettres à des amis et avoue bien connaître Léonie Vanhoutte qui, elle, avait été arrêtée le 15 septembre à Bruxelles puis transférée à Anvers et enfin ramenée à Bruxelles.

Lors d’un procès expéditif à Bruxelles le 16 mars 1916, Louise de Bettignies était condamnée à mort, Léonie Vanhoutte et Georges Desaever à 15 ans de prison et Alexandre Schoenmacker à 27 mois par le conseil de guerre présidé par le général Sauberzweig assisté du conseiller Stoëber. Le verdict prononcé, elle reprit longuement la parole en allemand - qui furent ses seules paroles en cette langue durant le procès - Léonie Vanhoutte décrivit la scène sans pouvoir comprendre les propos tenus. Ensuite dans un courrier adressé au gouverneur de Belgique, Louise de Bettignies accepte sa condamnation mais demande la libération de ses co-accusés : « je confirme ma déposition au sujet de la pression qui a été faite sur moi… étant donné les moyens indélicats employés par Mr Goldschmidt… je viens vous demander de leur faire justice et de leur faire accorder la mise en liberté….. étant donné que par mon silence j’ai aidé des personnes responsables à se mettre à l’abri et que j’ai refusé de dénoncer qui que ce soit même pour me justifier, je reconnais avoir mérité la sentence de mort et que ma condamnation est juste… J’ai agi en toute liberté et crois avoir fait mon devoir… ». Le gouverneur de Belgique, le général von Bissing, qui avait assisté au procès, commua la peine de Louise de Bettignies en travaux forcés à perpétuité. La décision fut placardée à Bruxelles le 5 avril en même temps que l’exécution de Gabrielle Petit. Louise et Léonie, toutes deux condamnées seront à partir du 24 avril 1916 dans la prison des femmes de la forteresse de Siegburg prés de Cologne.

Le 20 avril 1916 le général en chef, futur Maréchal Joffre, lui décerne une citation à l’ordre de l’armée :

« Mademoiselle Louise de Bettignies s’est volontairement dévouée pendant plusieurs mois, animée uniquement par le sentiment patriotique le plus élevé, pour rendre à son pays un service des plus important pour la défense nationale. A affronté avec un courage inflexible, toutes les difficultés périlleuses de sa tache patriotique. A surmonté pendant longtemps ces difficultés, grâce à ses capacités et à son dévouement, risquant sa vie en plusieurs occasions, assumant les plus graves responsabilités, déployant en un mot un héroïsme qui a été rarement surpassé »

Durant leur détention, Louise de Bettignies et la princesse de Croÿ écrivirent à plusieurs reprises au ministre allemand de l’intérieur, mais aussi à l’ambassadeur d’Espagne, pour se plaindre des mauvais traitements faits par leurs geôliers à l’encontre des prisonnières. On sait également qu’elle fit parvenir un appel au secours écrit avec son sang à l’évêque de Lille : celui-ci fit intervenir le cardinal Hoffmann en vain auprès des autorités allemandes, tandis que sa mère écrivait au Saint Siège pour obtenir son transfert en Suisse. Le refus était accompagné de l’explication verbale « elle nous a fait trop de mal ».

Le futur maréchal allemand E. Rommel, ayant sur lui une photo de L. de Bettignies dira en 1940 à l’abbé D qui n’avait pas su identifier la photo «c’est une grande patriote, une héroïne française qu’il priait tous les matins de le garder dans l’Honneur ! ».

A la fin de l’année 1917, après avoir passé plusieurs séjours au cachot pour avoir incité ses compagnes de détention à ne pas faire de travaux pour l’armée allemande ou à ne pas chanter qu’en allemand, elle commence sans doute une pneumonie. Opérée à l’infirmerie de la prison en avril, elle ne se remettra jamais des suites opératoires. Elle sera hospitalisée à l’hôpital de Cologne fin juillet et y décédera le 27 septembre 1918. Elle est alors enterrée au cimetière de Bocklemünd à Westfriedhof.

Titulaire de la Croix de Guerre avec palme, Chevalier de la Légion d’Honneur par un décret du 7 octobre 1918 mais publié au Journal Officiel le 22 juin 1919, Louise de Bettignies reçut la Military Cross et fut nommé Officier de l’Empire Britannique par le roi Georges V en 1919 .

A LOUISE de BETTIGNIES
et
AUX FEMMES HEROIQUES
DES PAYS ENVAHIS
LA FRANCE RECONNAISSANTE

Le 20 février 1920 sa dépouille reçoit les honneurs militaires de la part des armées françaises et anglaises à Cologne et est ramenée en France. C’est le 4 mars 1920 que ses funérailles solennelles furent célébrées à Lille en l’église Saint Maurice. Mgr Charost, le préfet Naudin, le général Lacapelle, le maire de Lille Gustave Delory, le docteur Duret au nom de la Croix Rouge Française et Louise Thuliez, compagne de détention à Siegburg, lui rendirent hommage.

Lors de ces deux cérémonies à travers les rues de Cologne et de Lille, son cercueil fut transporté sur un affût d’artillerie encadré par une garde d’honneur franco-anglaise en armes.

Elle est inhumée dans le caveau de famille à Saint Amand les Eaux.

Le 7 novembre 1926, les autorités belges apposèrent une plaque sur le mur du café « au Canon d’Or » à Froyennes, lieu de l’arrestation de Louise de Bettignies. Une autre le fut également à la prison St Gilles de Bruxelles.

Le 13 novembre 1927, grâce à une souscription nationale à l’initiative de la maréchale Foch et de la générale Weygand, un monument, réalisé par le sculpteur Maxime Real del Sarté, fut inauguré par le Maréchal Foch accompagné des généraux Weygand, Gouraud et Lacapelle, le ministre Louis Marin et Roger Salengro, maire de Lille. Ce monument situé boulevard Carnot à Lille a été retourné en 1964 pour regarder vers La Madeleine.

Dans la chapelle du Cimetière Militaire National de Notre Dame de Lorette près d’Arras une vitrine contient depuis 1994 la croix de bois qui était sur la tombe de Louise de Bettignies de 1918 à 1920 en Allemagne.

Bertin de Bettignies

Sources : Antoine Rédier , « la Guerre des Femmes » , ed. de la vraie France, 1924
Gem Moriaud, « Louise de Bettignies », ed.Taillendier, 1928
Major T Coulson , «the Queen of Spies, Louise de Bettignies» , ed. Mackays , London , 1935
Héléne d’Argoeuves , « Louise de Bettignies », Plon , 1937 et La Colombe, 1956
Léon Poirier , « Sœur d’Armes » Mame, 1937
René Deruyk, « Louise de Bettignies(1880-1918) » , ed. la voix du nord , 1998
Documents familiaux et journaux d’époque
Dernière mise à jour : 13-Aoû-2008